Prédication « Commémoration de la Réforme? »

Prédication "Commémoration de la Réforme?"

 

Prédication (du 30 octobre 2016 lors du culte de la Réforme)

Le dimanche le plus proche du 31 octobre, nous célébrons le culte de Réforme. Lundi prochain aura lieu l’ouverture de l’année de commémoration du cinquième centenaire de la Réforme. Le culte de ce dimanche ne sera alors pas seulement un culte de Réforme « ordinaire », mais l’ouverture d’une année de commémoration, de réflexion et célébration de la publication de 95 thèses par Martin Luther, pris comme début historique de la Réforme. Ce lundi aura lieu la rencontre du pape François de l’église catholique et de Munib Youan (Eglise luthérienne en Jordanie et terre sainte), le président de la Fédération mondiale luthérienne (FML) ; une première rencontre au plus haut niveau !

Commémoration de la Réforme ? Comment célébrer cet anniversaire, les 500 ans de la Réforme ? Organiser un « Protestants en fête » ? En regardant en arrière pour se vanter du grand réformateur Martin Luther, pour le présenter comme un héros et un homme de foi qui a su ébranler l’église catholique à l’époque ? C’était l’image dessinée il y a cent ans, en plein milieu de la guerre : en 1917 Luther était présenté comme héros germanique, le vrai protestant qui a su s’opposer à l’église catholique, vue comme l’ennemi de la France…le pays catholique contre lequel l’Allemagne était en guerre ! Nous avons heureusement dépassé cette forme de commémoration ! Cette forme de regard en arrière ! J’aimerais citer Emmanuel Gougaud, qui est le directeur du Service national pour l’unité des chrétiens en France :

« En effet, lorsque les chrétiens commémorent un évènement, ils ne regardent jamais en arrière vers un passé à jamais révolu. Ils ne se veulent pas des archéologues ou des gardiens de musée. (…) Dans les traditions juives et chrétiennes, la commémoration s’oriente vers le future. La foi chrétienne est engendrée par cette mémoire de l’avenir. Nous rappelons devant Dieu des actions du passé à la fois pour le remercier et aussi pour reconnaître que nous n’avons pas toujours été fidèles à l’Evangile. Cependant, la mémoire du passé est aussi simultanément prophétique. (…) Dans cet esprit, la commémoration des évènements de 1517 se présente à nous riche d’opportunités, invitant à la redécouverte de la figure de Martin Luther, dans toutes ses acceptations. » [Revue « Unité des chrétiens » N°181, p.3]

C’est un moment fort que le pape François et le président de la Fédération mondiale luthérienne, Munib Youan, se rencontrent ! Ils ne se rencontrent pas en Allemagne, à Wittenberg…mais à Lund en Suède. Lund représente la ville de Suède où en 1947 cette alliance mondiale des églises luthériennes a été fondée. En même temps, le pays n’est pas anodin non plus : C’était aussi le roi Gustav II. Adolf de Suède qui avait soutenu les protestants en Allemagne pendant la guerre de trente ans contre les catholiques, notamment la France catholique. La ville représente en même temps une réconciliation face à cette histoire de déchirement qu’a vécu l’Europe suite aux évènements de la Réforme. L’Europe à cette époque a été mise à feu et à sang, l’unité chrétienne du continent a été rompue suite aux évènements de la Réforme (puisque la religion et la politique se sont mêlées d’une manière néfaste). C’est un signe fort que Le plus haut représentant de l’église catholique et celui de l’alliance mondiale des églises luthériennes se rencontrent et se serrent les mains pour un signe de paix.

En effet, cette commémoration de la Réforme, anniversaire du cinquième centenaire, sera la première célébrée d’une manière oecuménique. J’avais déjà rappelé comment la commémoration de la Réforme par Martin Luther a été utilisée pendant la première guerre mondiale. Cette commémoration commune, la possibilité de réfléchir à la postérité de Luther chez tous les chrétiens, les catholiques comme les protestants (voire les orthodoxes) n’est possible que suite à des grandes avancées dans le dialogue œcuménique. Ces avancées se sont faites aussi face aux atrocités et déchirements de la deuxième guerre mondiale. En 1948, le concile œcuménique des églises a été fondé à Amsterdam ; aujourd’hui 330 églises protestantes, anglicanes et orthodoxes réfléchissent et travaillent ensemble pour un dialogue et l’espérance d’une unité que le Christ attend de nous. L’église catholique n’est pas venue à l’assemblée fondatrice à Amsterdam. Mais suite au concile Vatican II (1962-1965), l’église catholique – tout en gardant le statut d’une «église observatrice » – se joint à la commission « Foi et Constitution » [Fait hand Order]

Il y a eu également un dialogue direct entre l’église catholique et protestante. Un chemin important a pu être parcouru ensemble ! Depuis cinquante ans un dialogue entre luthériens et catholiques a aidé à mieux se comprendre, à se rapprocher et publier des déclarations communes ! En 1999 à Augsbourg, les deux églises ont publié une « Déclaration commune sur la justification par la foi » ! Le dialogue a commencé avec le point central de la Réforme, la justification par la foi seule ! Même si nous nous exprimons avec un vocabulaire différent, même si nous n’utilisons pas les mêmes mots et expressions, dans le fond – ainsi la déclaration commune – nous exprimons ensemble la grâce gratuite de Dieu par la foi, sans nos œuvres actives !

Ecoutons ensemble le témoignage de Martin Luther lui-même : « J’avais brûlé du désir de bien comprendre un terme employé dans l’épître aux Romains au premier chapitre, là où il est dit : ‘La justice de Dieu est révélée dans l’Evangile’ ; car jusqu’alors j’y songeais en frémissant. Ce mot de ‘justice de Dieu’, je le haïssais, car l’usage courant et l’emploi qu’en font habituellement tous les docteurs m’avaient enseigné à le comprendre au sens philosophique. J’entendais par là la justice qu’ils appellent formelle ou active, celle par laquelle Dieu est juste et qui le pousse à punir les pécheurs et les coupables ? Malgré le caractère irréprochable de ma vie de moine, je me sentais pécheur devant Dieu ; ma conscience était extrêmement inquiète et je n’avais aucune certitude que Dieu fût apaisé par mes satisfactions. Aussi je n’aimais point ce Dieu juste et vengeur. Je le haïssais, et si je ne blasphémais pas en secret, certainement je m’indignais et murmurais violemment contre lui et je disais : n’est-il pas suffisant qu’il nous condamne à la mort éternelle  à cause du péché de nos pères et qu’il nous fasse subir toute la sévérité de sa loi ? Faut-il encore qu’il augmente notre tourment par l’Evangile et que même là il nous fasse annoncer sa justice et sa colère ? J’étais hors de moi, tant ma conscience était violemment bouleversée, et je creusais sans trêve ce passage de saint Paul dans l’ardent désir de savoir ce que saint Paul avait voulu dire.

Enfin, Dieu me prit en pitié. Pendant que je méditais jour et nuit, et j’examinais l’enchaînement de ces mots : ‘La justice de Dieu est révélée dans l’Evangile comme il est écrit : le juste vivra par la foi,’ je commençais à comprendre que la justice de Dieu signifie ici la justice que Dieu donne et par laquelle le juste vit, s’il a la foi. Le sens de la phrase est donc celui-ci : l’Evangile nous révèle la justice de Dieu, mais la ‘justice passive’, par laquelle Dieu dans sa miséricorde, nous justifie au moyen de la foi, comme il est écrit : le juste vivra par la foi. Aussitôt je me sentis renaître, et il me sembla être entré dans des portes largement ouvertes au paradis même. Dès lors, l’Ecriture tout entière prit à mes yeux un aspect nouveau. »

Cette découverte, cette libération de Martin Luther sont aujourd’hui également partagées par l’église catholique ! Je n’entre pas dans les détails. « Un théologien catholique sera plus catholique en pensant non pas contre Luther, mais avec lui, » écrit Michel Deneken (professeur de théologie dogmatique catholique à Strasbourg ; Revue « Unité des chrétiens » n°181, p.7). Il y a des pensées communes par rapport à l’Ecriture [L’Evangile et l’Eglise, 1972] et même par rapport à la compréhension de l’Eucharistie / la Sainte Cène, comme nous a expliqué Michel Fédou lors de sa conférence à Sartrouville il y a deux semaines [Le repas du Seigneur, 1978 et Du conflit à la communion, 2013 §140-161]. Il est possible dans des moments forts et exceptionnels de s’accorder une hospitalité eucharistiques [Evêques de France : Hospitalité eucharistique, 1993], de se réunir autour de la table du Seigneur. Les protestants et les catholiques croient une « présence réelle » lors du repas, le partage du pain et du vin : Par la puissance de la Parole créatrice, le pain et le vin sont donnés comme corps et sang du Christ. C’est le Christ qui se donne lui-même aux communiants, qui donne son corps et son sang ! Puisque la compréhension du ministre mandaté par l’Eglise qui préside l’Eucharistie / la Sainte Cène diffère, un partage de la table du Seigneur n’est possible que dans des cas exceptionnels.

Le dialogue n’est pas encore au bout du chemin ; des questions sur le ministère et sur l’Eglise restent à discuter entre catholiques et protestants. Mais quel chemin déjà parcouru. Loué soit Dieu pour les étapes franchies ensemble. Il est évident que nous ne soignons plus un héritage au sens « objet du musée ». Le temps confessionnel où les différentes églises se vantaient de la vérité seulement chez elles est heureusement dépassé. Terminé le temps où l’autre est déclaré hérétique et excommunié, où « ma vérité » est déclarée la norme du jugement ! Il est possible dans le dialogue œcuménique de confesser ensemble « l’unité dans la diversité » et la diversité dans l’unité. Le conseil œcuménique parle de la diversité réconciliée. Ce n’est plus un temps confessionnel, mais un temps de dialogue, un temps d’écoute. [Il est peut être possible d’utiliser la parabole suivante : La lumière est dans son unité blanche, mais en passant par un prisme il y a plein de couleurs différentes – mais qui ne font qu’ensemble la lumière blanche.]

L’engagement œcuménique se fait avec des impératifs, des exigences envers les églises et leurs membres : « Catholiques et luthériens devraient toujours se placer dans la perspective de l’unité, et non du point de vue de la division, afin de renforcer ce qui est commun, même si les différences sont plus faciles à voir et à ressentir. » (Du conflit à la communion §239 ; cf. aussi les cinq impératifs œcuméniques qui sont décrits §§238-245) Le vrai dialogue ne se fait pas dans l’idée que je devrais seulement convaincre l’autre partenaire de ma vérité, ma position juste. Ainsi le dialogue et l’écoute sont déjà brisés, empiétés par un jugement intérieur que moi j’ai raison et l’autre a tort. Un vrai dialogue et une vraie écoute transforment le partenaire par la rencontre avec l’autre. Il partage une vérité vécue et existentielle, même s’il ne parle pas le même langage que moi. Je m’engage à l’écouter, et malgré les heurts qui se produiront forcément, je reste engagé à nouveau à chercher l’unité visible.

La question pour nous, aujourd’hui : Comment nous ici à Houilles nous engageons-nous pour ce dialogue ? Où sommes-nous en dialogue ? Où écoutons-nous l’autre frère ou l’autre sœur en Christ ? (c’est déjà un défi entre nous protestants venant des différentes origines, avec des différentes sensibilités ! – mais au-delà aussi pour le dialogue avec les frères et sœurs catholiques ou orthodoxes !)

Ce lien inséparable s’est fait par le baptême que les chrétiens ont reçu. Le baptême signifie le fondement de l’unité, nous dit la déclaration commune Du conflit à la communion §219. L’Eglise (avec un grand « E ») est le Corps de Christ. Et par le baptême, les êtres humains deviennent membre de ce corps. Nous sommes liés par le baptême, les catholiques, les protestants et les orthodoxes, dans le Corps du Christ en tant que membre de ce Corps ! Nous ne sommes pas tous pareils, un corps est constitué de différents membres, avec différentes fonctions et différentes manières d’être – mais ils constituent un corps et sont liés par ce lien inséparable que signifie le baptême (« une diversité réconciliées »).

Le Groupe de Dombes nous rend attentifs aussi au fait que nous prions ensemble la prière du Seigneur, le Notre Père. Nous la prions ensemble, nous nous adressons ensemble à Notre Père ! Quand nous prions ensemble le même Père, nous ne pouvons pas nier ni ignorer le frère à côté de moi qui prie le même Père [Vous donc, priez ainsi, présentation p.8 : « C’est ainsi que la relation au Père doit, sous peine de mensonge, se prolonger dans la relation au frère, et la renouveler. »).

Le même baptême (Eph 4,4-6) et la prière au même père nous engagent, nous poussent à chercher, à rêver l’unité des églises avec leurs traditions et leur caractère (celles avec un petit « e ») pour exister comme Eglise (avec un grand « E ») du Seigneur, le corps du Christ. C’est la prière de notre Seigneur Jésus Christ qui nous porte, qui nous accompagne : « Je ne prie pas pour eux seulement, mais encore pour ceux qui croiront en moi à travers leur parole, 21 afin que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et comme je suis en toi, afin qu’eux aussi soient [un] en nous pour que le monde croie que tu m’as envoyé. » (Jn 17,20s)

Prions pour la rencontre lundi à Lund où nous attendons un signe fort et important pour le dialogue œcuménique, le dialogue entre catholiques et protestants spécialement. Prions pour l’année de commémoration que nous ne fassions pas une rétrospective identitaire, mais une commémoration qui s’oriente vers le futur !                                               Amen !

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